Aux termes d’un arrêt du 19 avril 2023 (n°21-20.308), la Cour de cassation a admis la possibilité pour le juge de prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
En l’espèce, un salarié a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire et a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de cette sanction.
La Cour d’appel de Toulouse a jugé que les faits incriminés à l’encontre du salarié n’existaient pas et ne constituaient pas une faute et a, par conséquent, annulé la sanction infligée au salarié.
Elle a, en particulier, déclaré sans valeur probante deux éléments produits par l’employeur, l’attestation d’un salarié qui avait accepté de témoigner sous anonymat, craignant des représailles de la part de ses collègues dont il dénonçait le comportement, ainsi que le compte-rendu de l’entretien qu’une représentante de la société avait eu avec ce salarié, au motif qu’il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation.
Au visa de l’article 6 paragraphes 1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale, la Cour de cassation énonce :
« Il résulte de ce texte garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».
En l’espèce, dès lors que l’attestation anonyme d’un salarié, ainsi que le compte-rendu de l’entretien qu’une représentante de la société avait eu avec ce dernier, n’étaient pas les seules pièces produites par l’employeur pour caractériser la faute du salarié dont il se prévalait, les juges devaient prendre en considération ces éléments.
La Cour de cassation a déjà jugé que le seul témoignage anonyme ne suffisait pas pour prouver une faute invoquée à l’appui d’un licenciement (Cass. soc. 23 septembre 2003, n°01-43.595), et les seuls témoignages anonymes recueillis dans le cadre d’une enquête interne ne pouvaient permettre aux juges de valider un licenciement pour harcèlement (Cass. soc. 4 juillet 2018, n°17-18.241).
En application de l’arrêt du 19 avril 2023, une distinction doit, semble-t-il, être effectuée entre les témoignages anonymes, émanant d’une personne dont l’identité est inconnue, et les témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est connue par la commission d’enquête, qui peuvent avoir une force probante plus importante.
En effet, ces derniers peuvent être pris en considération par le juge s’ils sont corroborés par d’autres par d’autres éléments de preuve.
https://www.courdecassation.fr/decision/643f8681ad85da04f53a393f